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Pierre B
Et si les rues devenaient les nouveaux lieux de fête, de lien social et de revitalisation urbaine? C’est l’hypothèse fascinante que soulève l’étude de Pierre Jameson Beaucejour, candidat au doctorat, qui s’est penché sur l’émergence des Car Wash Party dans les quartiers populaires de Port-au-Prince. Loin d’être de simples rassemblements estivaux, ces événements festifs réinventent l’espace urbain, redonnent un souffle à des zones marginalisées, et traduisent la résilience créative de toute une génération.

Les Car Wash Party sont nés en 2019, au cœur d’un été marqué par des tensions politiques, une insécurité grandissante, et une disparition progressive des lieux de loisir traditionnels. Privée de piscines accessibles, de cinémas ou d’espaces récréatifs sécurisés, la jeunesse populaire de Port-au-Prince a alors fait ce que les marges savent faire de mieux : créer ses propres solutions.

Loin d’être une simple imitation de pratiques étrangères, ces événements s’ancrent dans le contexte haïtien, en transforment les contraintes en ressources, et mobilisent la rue comme espace principal de divertissement. Jets d’eau, maillots blancs, musique, bassins gonflables et ambiance intergénérationnelle… le tout dans une atmosphère de liberté contagieuse.

Le rapport de Beaucejour, fondé sur une approche qualitative par théorisation ancrée, révèle plusieurs dimensions clés de ces fêtes de rue :

  • En s’appropriant l’espace public – souvent les rues – les participants transforment la ville. Ces lieux deviennent, le temps d’un après-midi, des espaces de loisirs inclusifs, accessibles et gratuits. Ils redonnent une fonction sociale à des zones souvent marginalisées par les politiques urbaines.

  • Les Car Wash deviennent des points de rencontre, où l’on retrouve des amis perdus de vue, où l’on fait de nouvelles connaissances, où les frontières sociales s’estompent. C’est une forme de fête communautaire à ciel ouvert, spontanée mais régulée par des codes implicites (comme le port du fameux maillot blanc).

  • Ces fêtes permettent à des petits commerçants d’écouler leurs produits (eau, maillots, boissons) et aux habitants de se régénérer psychologiquement dans un contexte de crise. Elles deviennent ainsi des zones de reproduction sociale, au sens le plus large du terme.

  • Les Car Wash Party témoignent d’une résistance douce mais puissante à la gentrification, à l’abandon des quartiers populaires, et à l’effritement des liens sociaux. Elles montrent comment les classes populaires continuent à produire la ville, à leur manière.

Pourquoi c'est important ? Parce qu’on y voit l’expression d’une intelligence populaire trop souvent ignorée dans les politiques urbaines. Parce que cette recherche déconstruit les clichés sur l’absence de culture du loisir en Haïti. Parce qu’elle donne la parole aux premiers concernés : les jeunes, les organisateurs, les participants.

L’étude complète, rédigée par Pierre Jameson Beaucejour, propose une immersion riche, vivante et documentée dans ces pratiques qui redéfinissent l’espace urbain haïtien. Une lecture essentielle pour quiconque s’intéresse aux dynamiques sociales, aux mutations urbaines et aux formes émergentes de résistance culturelle.